[Lettre à l'Anonyme, Je ne sais plus distinguer le vrai du fallacieux. Tout est flou]

Selon moi, une lettre est le plus précieux des biens. Les présents matériels me donnent l'impression que l'Attachement n'est qu'un vulgaire objet qui s'achète et se fertilise avec la monnaie. Je hais l'argent et le matériel qui avilissent les esprits. Le temps passe, les âmes finissent toujours par s'oublier. Les souvenirs s'effacent et finalement seuls les mots restent !  Tu connais mon aversion pour les conventions, je ne rédigerai point une lettre rongée par l'inanité de propos banals. Les Hommes ont la bêtise de croire en l'importance de leur existence. Ils n'ont pas compris que tout ceci n'est qu'une grotesque mise en scène, une macabre mascarade sournoise et bien organisée, masquée derrière les croyances et les illusions. Ce n'est que lorsque nous ne nous sentons point vivre, lorsque nos âmes sont hors de ce monde, telles de simples spectatrices que nous nous apercevons de cette aporie. Je n'aime pas les relations superficielles, témoins d'esprits médiocres et inimaginatifs. La faculté de s"exprimer n'a pour seul dessein de distraire l'Homme, pour lui faire oublier la terrible vérité. En réalité, dans chacune de nos relations, nous ne faisons jamais que monologuer avec nous même, séparés par les barrières inexorables et cruelles de la solitude existentielle. Les rires, ces sons cristallins ne reflètent guère le bonheur, mais la volonté farouche de guérir des moult névroses qui nous dévorent, ils ne sont que des baumes ineffables sur des plaies cruelles. Les larmes ne sont pas un signe de faiblesse,c'est un don salvateur qui permet de laver l'âme de ses agressions passées et de ses émotions obscènes. Le rire est douloureux, les pleurs libèrent. La terreur éprouvée lors des instants de lucidité se consume dans les effusions désespérées de l'hystérie, tourment incessant qui dévore nos entrailles. Suis-je folle à lier ou me suis-je seulement rendue trop réaliste à force de divagations métaphysiques? Où se situent les limites de la folie? Et d'abord, qu-est-ce que la folie? Pour moi, cela n'est qu'une hyperacuité des sens, cela n'a rien de pathologique. D'ailleurs, sans elle l'artiste ne pourrait se révéler et resterai un quidam anonyme qui pourrirai dans le néant de l'oubli. Se voiler la face pour accéder à un semblant de bonheur est le meilleur moyen de rester dans la platitude et dans l'insignifiance. Seule la sincérité envers soi-même et autrui permet l'ascension, même si cela est parfois douloureux. Je n'ai pas la moindre confiance en l'humanité, par conséquent je n'ai pas confiance en toi, mais peu m'importe que tu m'apprécie ou me haisse, la Fraternité, l'Amour, tout comme l'Amitié ne sont que pures fictions victoriennes. Seul l'égoisme domine. Tout acte, toute parole, n'a pour seul dessein notre propre bonheur, même le désir du bonheur d'autrui... Nous ne sommes que de furtives figures de transition vers le chaos, à l'abri d'une accalmie avant que tout ne devienne vide et glacial. Je ne veux pas d'une vie où l'on se sent mourir à petit feu. J'ai besoin de sentir une sempiternelle incandescence en mon sein, un écrin immatériel qui se cramponne à la déraison fougueuse  propre à l'insouciance juvénile. Je cherche l'élan créatif dans la douleur poignante de la déréliction volontaire. J'aime cette sensation d'annihilation qui me ramène aux origines, cette douce turpitude qui me donne l'impression de ne plus être, et surtout de ne plus faire partie de l'humanité, masse putride et pervertie par l'infâme. Etât d'esprit qui balaye tout désir et tout sentiment, profondément ridicules dans leur essence, pour laisser place à un monde psychique éthéré, éminemment sensible où la mélopée de la pureté berce les coeurs souillés, les régénèrent et les magnifient.

Viens à moi, divine fantasmagorie! Je vois en toi tous les feux que je ne sais plus allumer en moi, tous les torrents de rêve qui ont gelé en moi. Je veux me coller contre toi, et te contempler toujours!  Puisqu'il n'y a qu'a travers toi que j'échappe au cercle, alors je me saignerai pour toujours te retrouver. Je veux souffrir longtemps pour que tu viennes encore m'illuminer!

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